1. Contentieux
Première Décision d'Engagements de Meta
Par une décision du 16 juin 2022, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a rendu obligatoires les engagements proposés par Meta, qui marquent, à notre connaissance, sa première procédure contentieuse négociée.
Pour rappel, Criteo avait saisi l’ADLC en septembre 2019 à la suite du retrait de son accès à des interfaces de programmation d’application spécifiques (API) et de son statut de partenaire Meta Business Partner (MBP), en parallèle du lancement par Meta de son propre service, concurrent de celui de Criteo.
En réponse aux préoccupations de concurrence exprimées par les services d’instruction, qui estimaient que ces pratiques étaient susceptibles (i) de distordre la concurrence entre les prestataires d’intermédiation publicitaire et (ii) d’avoir des effets d’éviction sur le marché de la publicité en ligne sur les réseaux sociaux, sur lequel Criteo et Meta sont concurrents, Meta avait proposé plusieurs engagements.
Tels qu’acceptés par l’ADLC, ces engagements sont en substance de trois ordres : (i) garantir aux prestataires de services publicitaires des conditions d’accès et de maintien objectives, transparentes et prévisibles au programme de partenariat « MBP », (ii) dispenser une formation de conformité à ses équipes commerciales pour éviter des pratiques de dénigrement à l’égard de certains prestataires, et (iii) fournir aux prestataires une nouvelle API selon des critères objectifs, transparents et non- discriminatoires.
Irrecevabilité du Recours Contre Une Décision de Refus d'Engagements
Dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour d’appel de Paris a conclu à l’irrecevabilité du recours formé par Sony à l’encontre d’une décision de l’ADLC portant refus des engagements proposés et renvoi à l’instruction.
Pour rappel, à la suite d’une évaluation préliminaire des services d’instruction concluant que Sony était susceptible d’avoir abusé de sa position dominante, l’entreprise avait transmis à l’ADLC des propositions d’engagements. Considérant qu’ils ne permettaient pas de répondre aux préoccupations de concurrence identifiées, le Collège avait alors renvoyé le dossier à l’instruction.
Pour conclure à l’absence de recours immédiat contre les décisions de rejet d’engagements, la Cour relève qu’à l’inverse des décisions d’acceptation d’engagements, les premières ne font pas partie de la liste des décisions limitativement énumérées à l’article L. 464-8 du code de commerce susceptibles de recours en annulation ou en réformation. Elle rappelle également que les entreprises ne disposent aucunement d’un droit aux engagements, l’ADLC jouissant d’un pouvoir discrétionnaire en la matière.
La Cour souligne par ailleurs que cette solution ne remet pas en cause le droit des entreprises à une protection juridictionnelle effective, celles-ci disposant d’un droit de recours contre la décision au fond le moment venu.
Droits Voisins: L'ADLC Accepte Les Engagements Proposés Par Google
Le 21 juin 2022, l’ADLC a rendu obligatoires les engagements proposés par Google dans le dossier relatif aux conditions de mise en œuvre de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse. Cette décision vient mettre fin à la saga judiciaire qui avait conduit l’ADLC à prononcer des mesures conservatoires en avril 2020 (décision n°20-MC-01) puis à sanctionner Google à hauteur de 500M€ pour non-respect de ces mesures (décision n°21-D-17).
Pour mémoire, les services d’instruction considéraient que Google était susceptible d’avoir abusé de sa position dominante (i) en imposant des conditions de transaction inéquitables et discriminatoires aux éditeurs et agences de presse, et (ii) en contournant la loi sur les droits voisins.
Pour répondre à ces préoccupations de concurrence, Google avait transmis une première série d’engagements, soumis en décembre 2021 à un test de marché. Google proposait alors de s’engager pendant 5 ans à négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse la rémunération due pour toute reprise de contenus protégés sur ses services, à communiquer les informations prévues à l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle permettant une évaluation transparente de la rémunération proposée par Google et à prendre les mesures nécessaires pour que les négociations n’affectent ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés.
En substance, les engagements finalement acceptés par l’ADLC ont été enrichis par (i) l’extension de leur champ d’application à tous les éditeurs et agences de presse, et (ii) un mécanisme de recours à un tribunal arbitral chargé de déterminer le montant de la rémunération, contraignant et aux frais de Google, en cas d’échec des négociations dans les trois mois.
Pour d’avantage d’informations sur les précédents moments du litige ayant opposé Google aux éditeurs de presse, nous vous invitons à consulter nos Bulletins Concurrence I, II et III.
Première Saisine d'Office de L'ADLC en Matière de Mesures Conservatoires... et Premier Rejet
Dans une décision du 7 juin 2022, l’Autorité s’est pour la première fois prononcée sur une saisine d’office pour mesures conservatoires formulée par les services d’instruction. Cette nouvelle prérogative dont disposent ces services est tirée de l’article L. 464-1 du code de commerce, tel que modifié par l’ordonnance du 26 mai 2021 transposant la directive ECN+.
En l’espèce, les services d’instruction soupçonnaient la société Commissaires-Priseurs Multimédia (CPM), qui exploite la plateforme de vente aux enchères généraliste Interencheres, d’avoir durci les conditions d’adhésion à sa plateforme à partir de 2015, dans un contexte d’ouverture à la concurrence porté par la loi Macron. CPM aurait eu pour dessein de limiter l’accès des commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés dans le cadre de la loi Macron et des futurs commissaires de justice à sa plateforme, et ce afin d’atténuer le risque que leur arrivée induise une intensification de la concurrence dans le secteur des ventes aux enchères publiques de biens meubles.
Les services d’instruction sollicitaient le prononcé de mesures conservatoires avec pour objectif de garantir que les conditions d’accès à la plateforme soient définies et appliquées de manière transparente, objective et non-discriminatoire.
« La décision d’accorder des mesures conservatoires ne peut intervenir que s’il existe un lien de causalité direct et certain entre la pratique en cause et l’atteinte grave et immédiate à l’un des intérêts protégés par l’article L. 464-1 du code de commerce » (§95 de la décision n°22-D-11)
En l’occurrence, cette première décision de l’Autorité, à la suite d’une saisine d’office pour mesures conservatoires, a abouti au rejet desdites mesures envisagées par les services d’instruction, l’Autorité estimant qu’il n’existait pas, à ce stade, d’éléments permettant de démontrer que les conditions d’accès à la plateforme Interencheres seraient susceptibles de porter, de manière directe et certaine, une atteinte grave et immédiate à l’un des intérêts protégés par l’article L. 464-1 du code de commerce. Cela dit, l’Autorité décide tout de même de la poursuite de l’instruction sur le fond du dossier.
Google Ads : La A Décision Gibmedia Confirmée Pour L'Essentiel
Saisie par plusieurs sociétés du groupe Alphabet (Google) d’un recours contre la décision n°19-D-26 du 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Paris a pour l’essentiel confirmé la position de l’ADLC, aux termes de laquelle cette dernière (i) avait sanctionné Google à hauteur de 150 millions d’euros pour avoir abusé de sa position dominante en maintenant une opacité des règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire Google Ads, appliquées de manière inéquitable et aléatoire, et (ii) lui avait enjoint de prendre les mesures nécessaires pour rendre intelligibles les règles Google Ads et les appliquer de façon non discriminatoire.
Dans son arrêt rendu le 7 avril 2022, la chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris a rejeté les moyens soulevés à propos de la légalité externe de la décision de l’ADLC, et les moyens tirés d’une qualification erronée des pratiques sanctionnées. Elle valide également les motifs par lesquels l’ADLC s’est écartée de l’application du communiqué sanctions au profit d’une méthode forfaitaire de détermination de l’amende, au regard notamment des caractéristiques « extraordinaires » de la position dominante de Google, et du contexte et de l’ampleur de l’infraction.
L’arrêt de la Cour d’appel réforme néanmoins la décision de l’ADLC sur plusieurs points.
S’agissant de l’imputabilité de la pratique, la Cour estime que Google France, filiale française de Google, a eu un rôle « très circonscrit » dans la commission de l’infraction ; aucun élément au dossier ne permet d’établir que Google France a pu participer à la définition des règles Google Ads et intervenir dans leur application discriminatoire.
S’agissant des injonctions que l’ADLC avait prononcées en 2019, la Cour d’appel en réforme deux d’entre elles : elle considère (i) que l’injonction de mettre en place une procédure permettant aux consommateurs de dénoncer les manquements aux règles Google Ads et à la réglementation n’est pas en lien direct avec les pratiques, et (ii) que les injonctions de détection et de traitement des violations aux règles Google Ads n’apparaissent ni nécessaires, ni proportionnées pour faire cesser la pratique.
Google a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Entente des Vins d'Alsace: La Cour d'Appel de Paris Tient Compte de L'Attitude Ambivalente de L'Administration et Réforme L'Amende Infligée
Dans un arrêt du 12 mai 2022, la Cour d’appel de Paris (Chambre 5-7) s’est prononcée sur le recours formé contre la décision n°20-D-12, par laquelle l’ADLC avait sanctionné des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace sur le fondement des articles 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce. Plus particulièrement, l’ADLC reprochait à deux organisations syndicales (l’AVA et le GPNVA) et une organisation professionnelle (le CIVA) de s’être entendues chaque année sur l’augmentation du prix de vente du raisin, tandis que le CIVA, a fortiori, diffusait des recommandations tarifaires sur le prix minimum du vin en vrac à ses adhérents – le montant global de l’amende infligée aux organisations s’élevait à 376.000€.
La Cour d’appel confirme la décision sur le fond, jugeant notamment que les comportements sanctionnés excèdent l’action légitime de défense des intérêts confiés aux organismes professionnels en cause et sortent des limites de l’action syndicale légitime. En revanche, elle réforme la décision pour partie, en divisant par deux le montant des amendes infligées à l’AVA et à la CIVA.
En particulier, la Cour d’appel conclut que l’attitude de l’administration, laquelle était présente jusque 2012 lors de réunions de travail des organisations sans formuler de réserves sur la teneur des discussions qui s’y déroulaient, était de nature à atténuer la gravité des pratiques, nonobstant leur caractère anticoncurrentiel par objet.
Jusqu’à cette date en effet, marquée par le souhait de l’administration de ne plus s’associer et cautionner les discussions sur les prix, l’attitude de l’administration ne conduisait nullement les organisations à douter de la légalité des pratiques.
Dans sa décision, l’ADLC avait certes identifié l’attitude ambivalente de l’administration mais n’avait pas tiré les conséquences de ses propres constatations pour réduire le montant des amendes infligées – ce que la Cour corrige.
Les Décisions de Protection du Secret Des Affaires Accordées Au Cours de L'Instruction Produisent Leurs Effets Devant Le Collège
Dans un arrêt du 16 juin 2022, la Cour d’appel de Paris a enjoint le Collège de l’ADLC à respecter la protection du secret des affaires accordée par le rapporteur général lors de l’instruction, en republiant la décision n°19-MC-01 par laquelle il avait imposé des mesures conservatoires à l’encontre de Google.
Saisie par Google en février 2019 à la suite de la publication par l’ADLC d’une version non- confidentielle de la décision n°19-MC-01 faisant apparaître des secrets d’affaires pourtant protégés par deux décisions de classement, la Cour d’appel de Paris avait initialement décliné sa compétence. Sur renvoi du Conseil d’Etat, le Tribunal des conflits a finalement considéré que la juridiction judiciaire était compétente, estimant que la décision prise par l’ADLC de limiter la publicité d’une décision est indissociable de cette décision elle-même.
Sur le fond, la Cour se livre à une interprétation téléologique des dispositions relatives à la protection du secret des affaires. Elle conclut que, sauf à priver d’effet utile la protection du secret accordée au cours de l’instruction, et en l’absence de dispositions contraires, les décisions de protection du secret – non remises en cause par une décision de déclassement – continuent de produire leurs effets devant le Collège au stade de l’adoption et de la rédaction de la décision.
Partant, la Cour rejette une interprétation littérale de l’article D. 464-8-1 du code de commerce, qui dispose que la publicité des décisions « peut être limitée » (soulignement ajouté) pour tenir compte de l’intérêt légitime des parties à la protection de leurs secrets d’affaires : cette disposition ne permet pas à l’ADLC de ne pas respecter la protection accordée par le rapporteur général, mais bien au contraire, d’en tenir compte pour déroger au principe de publicité de ses décisions.
Le Juge Ne Peut Fonder Sa Décision Uniquement Sur Des Déclarations Anonymes
Aux termes d’un arrêt prononcé le 11 mai 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris avait condamné une filiale de General Electric pour déséquilibre significatif à l’égard de ses partenaires. La Cour avait admis la valeur probante de déclarations émanant de fournisseurs anonymisées par les services du ministre de l’Économie.
L’entreprise en cause arguait que les auditions anonymisées portaient une atteinte disproportionnée à ses droits de la défense en la privant de la possibilité de vérifier et contredire, le cas échéant, les faits rapportés.
La Cour de cassation dit pour droit qu’il résulte de l’article 6, paragraphe 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.
« Au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes. […] La c our d'appel, qui s'est fondée, de façon déterminante, sur des déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve de l'existence d'une soumission des fournisseurs aux clauses contractuelles en cause, a méconnu les exigences du texte susvisé »
En conséquence, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.
Responsabilité de La Tête de Réseau Pour Rupture Brutale de Relations Commerciales Établies
Aux termes d’un arrêt rendu le 22 juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la responsabilité de la tête de réseau peut être engagée pour rupture brutale d’une relation commerciale établie en l’absence d’autonomie de décision de ses franchisés.
En l’espèce, un fournisseur de fruits et légumes avait assigné une société exploitant des magasins sous enseigne Leader Price pour rupture brutale de relations commerciales établies. La Cour d’appel de Paris avait déclaré irrecevable l’appel en intervention forcée de la tête de réseau Distribution Leader Price.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Elle considère que la circonstance que les établissements en cause aient une personnalité juridique distincte de la tête de réseau ne peut suffire à exclure la responsabilité de cette dernière dans la rupture qu’elle aurait, de fait, imposée. Dès lors, il appartient à la Cour d’appel de rechercher si ces établissements disposaient d’une autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs et, le cas échéant, la poursuite de leurs relations commerciales avec ceux-ci.
2. Concentrations
BUT / Conforama: L’ADLC Appliqye Pour La Première Fois L'Exception de L'Entreprise Défaillante
En juillet 2020, 6 jours après la notification de l’opération, l’ADLC avait autorisé Mobilux (société- mère du groupe But) à acquérir Conforama sans attendre sa décision d’autorisation, justifiant cette dérogation à l’effet suspensif du contrôle par les graves difficultés financières rencontrées par le groupe Conforama à cette période.
À l’issue d’un examen approfondi des effets de l’opération (phase II), une décision de l’ADLC du 28 avril 2022 est finalement venue autoriser l’opération sur le fond, ce sans engagement, en application de l’exception de l’entreprise défaillante. Lorsque les critères sont remplis, cette exception consiste à autoriser sans condition la reprise par un concurrent d’une entreprise qui disparaîtrait à brève échéance si l’opération n’était pas réalisée, et ce même si l’opération peut porter atteinte à la concurrence –en l’occurrence, l’ADLC avait identifié trois grandes catégories de risques d’atteinte à la concurrence.
Les critères applicables ont été définis en 2004 par le Conseil d’État à l’occasion du rapprochement entre Seb et Moulinex, et sont appliqués strictement:
En l’espèce, au regard des importantes difficultés financières rencontrées par Conforama et de l’absence d’offre alternative à celle de Mobilux moins dommageable pour la concurrence, l’ADLC a considéré que les deux premiers critères étaient remplis. S’agissant du troisième critère, l’ADLC a notamment considéré que les effets de cette disparition ne seraient pas moins dommageables que la reprise par But, cette reprise permettant d’assurer un maintien de la diversité de l’offre. L’ADLC a ainsi autorisé l’opération sans condition.
Si le ministre de l’Economie avait déjà pu y recourir dans les affaires EBSCO Industrie et Seb/Moulinex en 2002 et Alliance Santé Distribution en 2003, cette décision constitue la première application par l’ADLC de l’exception de l’entreprise défaillante depuis sa création en 2009.
Décision Inédite de L'ALDC en Matière de Gun-Jumping
Par une décision du 12 avril 2022, l’ADLC a, pour la première fois, sanctionné une entreprise cumulativement pour (i) défaut de notification d’une opération de concentration (articles L. 430-3 et L. 430- 8, I du code de commerce) et (ii) réalisation anticipée de l’opération (article L. 430-8, II du code de commerce).
L’opération concernait en l’espèce le secteur des vins et spiritueux et portait sur l’acquisition de Marie Brizard Wine & Spirits (MBWS) par la Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation (Cofepp). Elle avait été notifiée à l’ADLC lors d’une prise de participation en décembre 2018 la conduisant à détenir plus de 47% des droits de vote de MBWS et avait alors été autorisée sous conditions le 28 février 2019 (décision n°19-DCC-36). Dans sa décision d’avril 2022, l’ADLC considère que la Cofepp détenait en réalité déjà, par son intervention dans le processus de nomination d’un dirigeant, un contrôle de fait sur MBWS depuis 2018, c’est-à-dire avant que la prise de contrôle qu’elle a approuvée en 2019 ne soit formellement portée à sa connaissance.
Cette décision s’inscrit dans le prolongement (i) du récent arrêt Marine Harvest de la Cour de justice de l’Union européenne ayant validé la possibilité d’une double sanction, et (ii) de précédentes sanctions prononcées par l’ADLC pour manquement aux règles françaises de contrôle des concentrations (voir tableau n°1 ci-dessous pour l’ensemble des décisions de sanction en France pour défaut de notification ou réalisation anticipée de l’opération).
Pour rappel, l’amende encourue par l’acquéreur, tant pour défaut de notification que pour réalisation anticipée de l’opération, est de 5% de son chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise (article L. 430-8, I et II du code de commerce).
Pour une analyse détaillée de cette décision et notamment des motifs ayant permis à l’ADLC de caractériser l’existence d’un contrôle antérieur à la notification, nous vous invitons à consulter notre « On the Subject », disponible sur le site internet de McDermott Will & Emery.
L’ADLC Se Prononce Contre Une Prise de Participation Minoritaire Concomitante à Une Opération Notifiée
Dans une décision du 27 avril 2022, l’ADLC a, pour la première fois, considéré qu’une prise de participation minoritaire non contrôlante concomitante à une prise de contrôle exclusif était susceptible de porter atteinte à la concurrence.
La position adoptée par l’ADLC s’inscrit dans le cadre de son examen des effets anticoncurrentiels engendrés par la prise de contrôle exclusif de Bio Pôle Antilles par le groupe Inovie, entreprises simultanément actives sur les marchés de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie et sur les marchés des examens de biologie médicale. Cette opération lui avait été notifiée au début du mois de mars 2022.
Une semaine avant la notification de l’opération en cause, le groupe Inovie avait informé l’ADLC de son intention de procéder à une autre opération, à savoir l’acquisition d’une participation minoritaire dans le capital de la société Synergibio, unique concurrent privé de Bio Pôle Antilles en Guadeloupe (14 laboratoires) et à Saint-Martin (1 laboratoire). Par ce courrier, Inovie sollicitait du service des concentrations une lettre de confort lui demandant de confirmer son analyse selon laquelle l’opération envisagée ne serait pas contrôlable par l’ADLC.
C’est cette prise de participation minoritaire non contrôlante qu’a examiné l’ADLC au titre de l’analyse des effets horizontaux engendrés par l’opération notifiée sur les marchés locaux des examens de biologie médicale de routine. L’ADLC considère que cette prise de participation minoritaire confèrerait à Inovie (i) des droits à revenus lui permettant de bénéficier de la quasi-intégralité des bénéfices de Synergibio et (ii) des droits de représentation et d’information susceptibles de porter atteinte à la concurrence. Ces droits permettraient à Inovie d’utiliser les informations stratégiques de son unique concurrent pour obtenir un avantage concurrentiel.
« L’opération notifiée combinée au projet de participation minoritaire est de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des examens de biologie médicale de routine en Guadeloupe et à Saint Martin » (§63 de la décision n°22-DCC-35)
Par conséquent, afin de répondre aux risques d’atteinte à la concurrence identifiés en Guadeloupe et à Saint- Martin, Inovie s’est engagé à renoncer à toute prise de participation dans le capital de la société Synergibio pour une durée de dix ans à compter de la date d’adoption de la décision.
3. Investigations
La Protection de La Correspondance Avocat- Client S’Étend Bien À Tour Les Échanges Liés Aux Droits de La Défense
Dans le cadre de l’enquête sur la réalisation anticipée de la prise de contrôle de MBWS par la Cofepp (v. supra), dans laquelle des opérations de visite et saisie (OVS) avaient été diligentées après autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) de Paris, des recours ont été formés contre les ordonnances du JLD autorisant les OVS et contre le déroulement des OVS. Après un arrêt d’appel rendu en décembre 2020 et un pourvoi en cassation formé à son encontre par les entreprises visitées, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée au sujet du déroulement des OVS dans un arrêt du 20 avril 2022.
Dans son arrêt, la Chambre criminelle infirme la position du délégué du premier président de la Cour d’appel, qui estimait que le secret professionnel avocat-client n’était pas applicable et que les correspondances en question ne relevaient pas d’un échange entre avocat et client concernant sa défense dans l’enquête. Elle juge ainsi que la protection tenant à l’insaisissabilité des correspondances avocat-client ne se limite pas aux seuls échanges liés au dossier de concurrence en cause mais s’étend à l’ensemble des correspondances échangées et liées à l’exercice des droits de la défense.
« C'est à tort que le premier président retient que seuls sont insaisissables les documents qui relèvent de l'exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence, alors que c'est dans toutes les procédures où un avocat assure la défense de son client qu'est protégé le secret des correspondances échangées entre eux et qui y sont liées »
Pour autant, la Cour de cassation ne censure pas l’ordonnance et rejette le moyen de cassation. Elle retient en effet (i) qu’aucune atteinte aux droits de la défense en dehors de la seule procédure concernée n’est évoquée par les sociétés requérantes, et que (ii) la présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret ne saurait avoir pour effet d’invalider la saisie de tous les autres documents, qui est un principe régulièrement rappelé par les conseillers de la haute juridiction.
L’ADLC Assiste La Commission Européenne Dans La Conduite d’OVS Dans Le Secteur de La Mode
Le 17 mai 2022, la Commission européenne a annoncé avoir effectué des OVS dans les locaux d’entreprises actives dans l’industrie de la mode dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne et envoyé dans le même temps des demandes d’informations à d’autres sociétés du secteur. La Commission aurait été assistée par l’ADLC pour mener ces OVS au sein des entreprises françaises visées par l’enquête
OVS : Pas D’Obligation de Notification Des Sanctions Encourues En Cas D'Obstruction
Par un arrêt du 14 juin 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par des entreprises visitées dans le cadre de l’enquête de l’ADLC sur des pratiques mises en œuvre dans les domaines de l’ingénierie, du conseil en technologies et des services informatiques.
Pour demander l’annulation des OVS, les entreprises faisaient valoir que les enquêteurs étaient tenus d’informer les personnes visitées des sanctions encourues en cas d’obstruction aux OVS et que le procès-verbal devait faire état de l’accomplissement de cette formalité.
Approuvant l’analyse du premier président de la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation dit pour droit qu’il n’existe aucune obligation de notification des sanctions encourues en l’absence de collaboration des entreprises visitées, et partant, rejette le pourvoi.
Publicité Extérieure: Notification de Grief À Deux Entreprises du Secteur
Le 19 avril 2022, l’ADLC a annoncé que ses services d’instruction, par la voie du rapporteur général, ont notifié un grief à deux entreprises actives dans le secteur de la publicité extérieure. Il leur est reproché d’avoir conclu et mis en œuvre un accord de partage des marchés amont notamment de la fourniture de mobilier urbain, de l’exploitation de panneaux publicitaires dans les réseaux de transport et de la location ou la concession d’emplacements aux fins d’affichage publicitaire (affichage publicitaire grand format). Cette pratique serait notamment intervenue à la faveur d’une opération de prise de participation minoritaire intervenue entre les deux entreprises.
Inscrite à l’article L. 463-6 du code de commerce, la possibilité pour l’ADLC de communiquer publiquement des informations succinctes relatives aux actes qu’elle accomplit en vue de la recherche, de la constatation ou de la sanction de pratiques anticoncurrentielles est tirée de l’ordonnance du 26 mai 2021 transposant la directive ECN+. Lorsqu’elle intervient, cette publication doit être effectuée dans l’intérêt du public et dans le strict respect de la présomption d’innocence des entreprises concernées. L’ADLC ne communique ainsi jamais le nom des entreprises visées, bien que des informations sont souvent révélées par la presse – dans cette affaire, les deux entreprises visées pourraient être JCDecaux et Metrobus.
Réalisation D'OVS Dans Le Secteur de L'Agrofourniture
Le 12 mai 2022, les services d’instruction ont procédé, après autorisation d’un JLD, à des OVS inopinées auprès d’entreprises suspectées d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l’agrofourniture – ce secteur comprend l’ensemble des produits consommables de l'agriculture (semences, fertilisants tels que les engrais et les amendements), des produits phytosanitaires et vétérinaires, des aliments du bétail et des agroéquipements tels que les matériels et les bâtiments agricoles.
À notre connaissance, ces OVS constituent les secondes menées depuis le début de l’année 2022 par les services d’instruction de l’ADLC, tandis que des OVS avaient été conduites à la fin de l’année 2021 dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire.
4. Autres
Conformité: Publication du Nouveau Document-Cadre Par L'ADLC
En 2020, un groupe d’experts issus du secteur privé (entreprises, associations professionnelles et cabinets d’avocats) et de représentants de l’ADLC avait conclu que les acteurs du marché souhaitaient pouvoir bénéficier à nouveau d’un texte de référence sur les programmes de conformité en droit de la concurrence.
Un précédent document de l’ADLC, publié en 2012, avait en effet été retiré à la suite de la publication de son communiqué d’octobre 2017 relatif à la procédure de transaction et aux programmes de conformité.
Après une consultation publique lancée à la fin de l’année 2021, l’ADLC a publié la version définitive de son nouveau document-cadre, que nous vous invitons à consulter. En son sein, l’ADLC indique notamment que l’élaboration d’un programme de conformité aux règles de concurrence doit s’appuyer sur cinq piliers : (i) un engagement public de l’entreprise, (ii) des relais et experts internes, (iii) une information, formation et sensibilisation, (iv) des mécanismes de contrôle et d’alerte et (v) un dispositif de suivi.
Par ailleurs, l’ADLC insiste notamment sur le fait que le programme de conformité aux règles de concurrence, conçu par et pour l’entreprise, a vocation à s’insérer dans un programme de conformité global qui rassemble l’ensemble des dispositifs préventifs mis en place par l’entreprise (en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption, de protection des données personnelles, de responsabilité sociale, sociétale et environnementale, etc).
Rose Aragon and Vianney Buyse ont contribué à cet article.